C’était une belle journée d’automne. L’ambiance aux locaux n’était pas aussi aussi illuminée mais Kirsten avait l’habitude. Le temps passait vite, trop vite pour toutes les tâches que Kirsten avait à faire. Être à un poste à responsabilité a l’incroyable faculté de se rendre compte que l’on n’a souvent que peu de temps pour faire ce que l’on veut dans une journée. Heureusement, Kirsten avait réussi à s’entourer de personnes fiables et sur lesquelles il pouvait se reposer pour déléguer la plupart des tâches dont il n’avait pas le temps de s’occuper.

Kirsten pensait passer une soirée des plus communes, assis dans un fauteuil de son duplex, un verre d’alcool à la main. Il fût cependant pris d’un mal de tête vif, qui ne dura qu’une fraction de seconde. S’agrippant la tête de sa main libre, l’inquiétude naquit. Des secondes qui lui parurent être une éternité s’écoulèrent. La douleur avait disparu. Il n’avait aucune idée de ce que cela pouvait être, il eut une furtive idée d’appeler son médecin, mais il ne jugea pas cela nécessaire. Cela lui ferait perdre du temps, de l’énergie…

Puis la douleur frappa à nouveau. Plus forte qu’un marteau frappant l’enclume, Kirsten lâcha son verre qui se brisa au sol. Ses mains contre ses tempes, comme pour essayer de faire taire la douleur en écrasant son propre crâne. Du sang commença à couler de son nez goutte par goutte sur le sol. Cette fois-ci, la douleur ne s’estompa pas. De brèves images floues vinrent dans son l’esprit, comme des souvenirs. Des souvenirs de monstres qu’il n’avait jamais vu auparavant, des souvenirs de paysages inconnus à ses yeux. Comme d’anciens mondes…

Un portrait sinistre lui vint en tête. Des yeux ténébreux, effrayants, une aura noire autour de lui. Kirsten n’avait jamais rien vu de tel, même dans les fictions de son époque. Puis leurs regards se croisèrent. La douleur s’estompa pour laisser place à la torpeur. Son coeur se figea et un froid glacial l’enveloppa. Il vit à nouveau des images défiler, cette fois-ci des images qu’il reconnaissait, des voix qu’il avait déjà entendu. Il revoyait ses souvenirs, comme s’ils étaient aspirés par l’entité ténébreuse. La douleur revint de plus belle et Kirsten lâcha un râle de douleur. Après quelques instants, il entendit une voix sinistre et brumeuse. 


« Tu es Kirsten Dahl ? »

Kirsten était paralysé par la question. Que se passait-il ? À qui appartenait cette voix ? Comment pouvait-elle savoir ?

« Je sais ce que tu penses. Tu ne peux rien me cacher. »

Kirsten arriva à balbutier quelques mots :

« Qui… Qui êtes… vous ? »

« Qui je suis n’est pas très important. Ce que je suis, par contre… »

« Qu.. Qu’êtes-vous… Qu’est-ce que v… vous voulez… » dit Kirsten, toujours soumit à une douleur intense.

« Je suis la Discorde, je suis le Dieu des Illusions, de la Malice, je suis la malheur de mes proches, je suis un avertissement… pour le Monde entier. Et ce que je veux… Je veux la rupture de ce monde, et pour cela, j’ai besoin de ton corps. »

« Mon… corps ? »

« Quel réceptacle intéressant tu es… Ton histoire est riche, j’ai vu tes actes et tes stratagèmes… Tu seras fier d’être ma Renaissance. »

« Attendez, non ! S’il vous pl… » cria Kirsten, emplit de désespoir.

Kirsten roula sur le sol, se blessant à plusieurs endroit par les morceaux de verre éparpillés sur le sol. Se tordant de douleur, luttant contre cette entité néfaste et destructrice. Les larmes commencèrent à couler, sa vie se faisant inspirer intérieurement. Après quelques minutes de lutte acharnée, le corps de Kirsten arrêta de se mouvoir sur le sol. Des tâches de sang gisaient autour du corps inanimé.

Quelques temps plus tard, ses yeux s’ouvrèrent. La douleur était palpable, mais tolérable. Son esprit était encore embrumé de ce qu’il venait de ce passer. L’âme de cet humain avait été coriace, pleine de vie, mais elle ne pouvait rien contre celle du Dieu. L’âme de Kirsten était meurtrie et ne serait qu’à jamais des souvenirs appartenant désormais à Loki.

Loki essayait de créer de l’ordre dans son esprit désormais imprégné des souvenirs de Kirsten. Il se souvenait avoir été aspiré, l’extirpant de son châtiment. Loki avait été plongé dans des ténèbres insondables, inertes. Il ne savait pas pendant combien de temps. Qu’en était-il des autres Dieux ? Des géants ? De ses enfants ? De Sigyn ? Une colère intense s’éveilla en Loki à la simple pensée de ses confrères.

Il s’était réveillé en coexistant avec un humain. Cela était-il arrivé à tout le monde ? Si cela était le cas, cela voudrait dire qu’il fallait les chercher. Où était-il ? Loki fouilla les souvenirs de son hôte. Oslo, Norvège… Ce monde semblait vaste, ses compères s’étaient-ils réincarnés aussi en Norvège ? Ailleurs ?

Beaucoup de questions, peu de réponses… Il lui fallait réfléchir et mettre au point un plan afin de pouvoir mettre en oeuvre sa vengeance sur ses juges. Ils ne s’en tireraient pas comme cela.
Loki devait retrouver ses alliés. Cela ne devrait pas être trop dur, étant donné le réseau d’information auquel il avait accès grâce à Kirsten. Que fallait-il faire ? Faire une annonce mondiale pour envoyer un message à tous les habitants de l’Ancien Monde ?

« Non… Il faut quelque chose de plus discret. »

Le visage de Sigyn lui vint en tête. Il le savait. Il fallait qu’il la trouve. Loki commença à imaginer un plan. Il fallait que seule Sigyn comprenne le message envoyé par Loki pour qu’ils puissent se retrouver, par exemple au siège social de la compagnie.

Il décida dans un premier temps de ne viser que la population d’Oslo. S’il avait un peu de chance, vue la population de cette ville, Sigyn y serait. Mais que lui dire ? Sous quelle forme ? Quel format ?

Loki avait du mal à réfléchir et se sentait nauséeux. Il décida de nettoyer les morceaux de verre et de se panser afin d’essayer de calmer toutes les pensées fulgurantes de son esprit.

Assis dans un fauteuil, Loki ferma les yeux pour chercher un souvenir commun avec Sigyn que seul eux pourraient comprendre. La réflexion prit plusieurs minutes.

L’idée le frappa comme une évidence. Sigyn et Loki avaient passé de nombreuses journées à flâner au bord d’un lac à Asgard. Ils passèrent de nombreuses heures à débattre des prénoms ridicules, glorieux, inspirants… Ils s’étaient mis d’accord appeler l’un de leurs enfants Valni, un prénom élégant et suave. A la vue de ce prénom, il était certain que si Sigyn croisait ce prénom, elle saurait. Il ne suffisait plus qu’à trouver comment diffuser le message, sous quelle forme…

Quelques semaines plus tard, le projet était lancé.


« Tout est prêt ? » demanda Loki à un responsable de communication.

« Oui monsieur Dahl. Nous pouvons le diffuser. »

« Lancez le à midi. »

Ainsi le projet Valni fut lancé. Un appel au personnel dans le cadre d’une aide humanitaire pour des accidents humanitaires et écologiques, arrivant souvent le long des côtes. Le projet devait rassembler un certain nombre de personnel aux compétences très diverses, cela lui permettait de toucher le plus de personne possible. Si Sigyn était à Oslo, elle avait de grandes chances de voir cet appel à projet. Loki éplucherait les candidatures, en essayant de trouver des indices, notamment dans les lettres de motivation. Il savait que des risques pouvaient arriver, notamment qu’un autre confrère soit attiré par le projet, mais Loki ne voulait pas que son réveil soit connu, pas pour le moment. Ce serait son équipe aux ressources humaines qui s’en occuperaient, sous l’oeil attentif de Loki. Il avait espoir.

« Sigyn… » souffla-t-il en balançant sa tête en arrière sur le fauteuil de son bureau.

Deux semaines s’étaient écoulées depuis son expédition en pleine montagne pour récupérer de l’edelweiss. Pour ne pas en manquer et être tranquille pour un moment, Sigyn en confectionna une concoction, précieusement conservée dans un flacon. Depuis, aucun symptôme n’était apparu. Le remède fonctionnait. Elle reprit donc le travail d’Eydís. Le temps fila et avant qu’elle ne s’en rende compte le mois d’octobre était déjà bien entamé. Assise dans le bus, Sigyn songeait à ces dernières semaines. Elle n’avait toujours aucune trace de ses proches ni d’autres feuilles du mystérieux livre dans lequel ils avaient été enfermé. Elle commençait à déprimer et à se dire qu’elle allait peut-être devoir revoir le Grand Méchant Loup – alias Fenrir – pour lui demander de l’aide ; ce qui ne lui plaisait absolument pas. Quand, soudain, un panneau publicitaire l’interpella. Elle descendit précipitamment du bus au prochain arrêt pour aller voir de plus près l’inscription : le Projet Vali.

Son coeur rata un battement. Un signe. Se pourrait-il que… ? Sigyn s’empara de son téléphone, prit une photo et rentra en vitesse chez elle pour se jeter sur l’ordinateur d’Eydís  et surfer sur internet. Elle trouva rapidement à quoi et à qui faisait référence le projet. Ce prénom, des images de lacs, des œuvres humanitaires et un appel à candidature… Beaucoup de points coïncidés… Tout faisait écho en elle. Ce n’était plus les souvenirs de l’humaine, mais celle de la déesse qui l’envahirent. Lâchant du regard l’écran, elle respira un grand coup et se leva pour faire les cent pas. Etait-ce vraiment un signe ? Un message pour elle ? Ou était-ce le fruit de son imagination ? Et si c’était son cœur qui parlait à sa place ? Mais si c’était vrai, cela voudrait dire que derrière ce message il pouvait y avoir Loki. C’était ce qu’elle espérait et ce qu’elle avait tout de suite ressentie, mais si c’était un piège ? Si ce n’était pas un message caché de Loki, mais quelqu’un se faisant passer par lui pour l’attirer ? Sigyn pouvait être un atout quand il le fallait comme une faiblesse pour atteindre son mari. Elle restait prudente et méfiante. Après tout, le prénom de ses enfants n’était pas un secret. Cependant, les images de lacs ne pouvaient faire référence qu’à celui d’Asgard où elle avait passé du temps avec Loki à choisir les prénoms de leurs enfants. Ils n’étaient que deux. Ce ne pouvait être que lui et il avait trouvé un moyen de la contacter. Il était éveillé. Depuis quand ? Allait-il bien ? Avait-il été touché aussi par la putréfaction de ce corps éphémère ou pas encore ? Avait-il besoin d’elle pour cela ? Tant de questions et d’émotions se bousculèrent d’un coup au point qu’elle en eut le tournis et dut s’asseoir.

Sigyn devait se reposer ou plutôt ce corps. Elle sortait de plusieurs gardes de nuit intensives à l’hôpital et même si Eydís était habituée, tout être humain surmené avait impérativement besoin de repos et surtout de sommeil. Néanmoins, la déesse n’en ressentait pas le besoin. Pas maintenant. Elle était trop excitée à l’idée d’avoir raison. Elle avait peut-être totalement tord, mais elle ne pourrait jamais savoir si elle restait plantée là à ne rien faire. Elle devait agir. Elle devait savoir. Sans perdre une minute de plus, Sigyn s’attela à répondre à l’annonce, mais pas n’importe comment. Pour être correctement identifiée, ou en tout cas sélectionnée et ainsi mettre toutes les chances de son côté, elle décida d’ajouter une ligne au cv d’Eydís . Celle de participer à une œuvre caritative pour venir en aide d’un enfant ayant subit une injustice et répondant au nom de Njáll. Ce prénom n’avait pas été choisi au hasard. Il s’agissait du prénom avec lequel Loki et elle avaient longuement hésité avant de finalement choisir celui de Narfi, leur autre fils. Celui qui n’était malheureusement plus parmi eux. Le cv et la lettre de motivation prêts, elle envoya tout dans un mail au beau milieu de la nuit et croisa les doigts pour que cela marche et soit rapide.

Malheureusement, cette fois-ci la patience de Sigyn ne résista pas longtemps. Au bout du deuxième jour d’attente, elle craqua. Elle avait les souvenirs et les compétences d’Eydís , mais qui sait, peut-être s’était-elle trompée quelque part en envoyant le mail ? Ça ne coûtait rien de vérifier.

Siège social de Dahl Shipping Intercontinental

Sous les traits d’Eydís , Sigyn s’engagea dans l’immense hall d’entrée et se dirigea directement vers l’accueil. Elle fut accueillie par une jeune femme très coquette et bien apprêtée qui semblait plus intéressée par l’état de ses ongles que de répondre au téléphone.

« Bonjour, c’est pour quoi ? »

« Bonjour, je viens pour un renseignement. J’ai postulé il y a quelques jours pour le projet Vali », déformer légèrement la réalité ne pouvait pas faire de mal. « Je n’ai pas eu de réponses. Serait-il possible de savoir si ma candidature a bien été reçue, s’il vous plaît ? »

« Votre nom ? »

« Forsberg. »

« Un instant. » Après quelques vérifications sur l’ordinateur. « Votre nom apparaît bien dans les candidatures, mais les entretiens n’auront pas lieu avant une à deux semaines. Eplucher toutes les candidatures et faire le tri prend du temps et uniquement une poignée de personnes sera choisie pour les entretiens. Si votre candidature est retenue, on vous contactera », lui répondit-elle rudement. « Maintenant si vous le permettez, j’ai du travail qui m’attend. Au revoir. »

Une à deux semaines ?! Pour peu qu’elle soit choisie… elle fut dépitée. Sans parler du manque d’empathie de cette femme. Elle s’éloigna lentement, abattue par la mauvaise nouvelle lorsque des traces de résidus d’énergie la firent se retourner vers les ascenseurs de l’entreprise. Ils dataient d’aujourd’hui, mais ils étaient trop peu pour qu’elle puisse en identifier leur nature : soit créature soit divinité. Cependant, c’était suffisant pour ranimer sa motivation. Elle ne pouvait pas attendre. Deux mois s’étaient déjà écoulés depuis son propre éveil et le simple fait d’imaginer son mari dans les alentours sans pouvoir être présente auprès de lui, savoir s’il allait bien ou pas et ne rien pouvoir faire lui étaient insupportables. Même si ce n’était pas lui, peut-être qu’elle pourrait avoir des indices, n’importe quoi, mais elle devait savoir. Elle devait en avoir le cœur net. La standardiste étant au téléphone, Sigyn saisit l’occasion et se dirigea vers les ascenseurs d’un pas décidé. Alors que ces dernières s’ouvrirent, l’hôtesse la repéra.

« Ah non, Madame ! Attendez, vous ne pouvez pas… » Trop tard. «Je vais appeler la sécurité. Revenez ! » Les portes se refermaient déjà avec elle à l’intérieur.

Soulagée de se retrouver seule un petit instant, elle regarda l’ascenseur monter tranquillement au fur et à mesure. Elle avait appuyé sur les derniers étages, les hautes sphères de la société, d’après ses recherches, connaissant son mari ainsi que le nombrilisme des dieux, il lui paraissait évident de commencer par le haut. Cependant, elle n’allait pas avoir beaucoup de temps. La standardiste l’avait repérée et elle lui faisait confiance pour appeler la sécurité, donc elle allait être vite attrapée. Sauf que Sigyn ne comptait pas leur rendre la tâche facile. Profitant de cet instant de répit, elle défit son chignon si soigneusement réalisée pour libérer ses cheveux. Elle les recoiffa du mieux qu’elle put, histoire de ne pas ressembler à une folle sortie tout droit de l’asile. Elle se débarrassa également de son manteau d’hiver. Les automnes n’étaient pas chauds ici à cause du vent pouvant être glacial, mais tant pis. Elle voulait mettre toutes les chances de son côté.

Ce fut donc avec son sac à main et vêtue uniquement d’une robe noire s’arrêtant au-dessus des genoux, fluide et élégante avec un décolletée plongeant mais tout à fait correct et des talons aiguilles vernis noir, que Sigyn sortie de l’ascenseur et se retrouva dans un open space inondé de bureaux. Quelques œillades se retournèrent à son passage, ce qui lui fit légèrement regretter d’avoir abandonné son manteau quelques secondes plus tôt. A moins que ce ne soit son manque de ressemblance qui était mis à mal. Elle ne ressemblait pas assez à une employée peut-être ? D’un coup d’œil, elle repéra un bureau inoccupé, s’y arrêta et y vola emprunta un dossier. Ni vue ni connue, elle continua son chemin comme si elle emmenait tout simplement un dossier très important à une personne de haut rang. Ainsi, elle passerait un peu moins inaperçu.

Après avoir traversé sans encombre l’open space, l’apparente infirmière s’engagea dans le premier couloir à la recherche d’indications qu’elle ne tarda pas à trouver. Au fond à droite se trouvait un escalier menant aux services des ressources humaines, des finances et de la direction. C’était exactement ce qu’elle recherchait. Elle s’y engagea sans hésitation et dès les premières marches, elle ressentie de nouveau les résidus d’énergie, bien plus présents. Il ou elle était passé(e) par là et c'était une divinité. Elle était sur le bon chemin, mais les traces n’étaient pas assez fraîches pour en apprendre davantage. Elle ne désespérait pas, au contraire. Plus Sigyn avançait, plus son enthousiasme grandissait. Arrivée à l’étage de la direction, Sigyn longea l’imposant couloir suivant rigoureusement le résidu d’énergie le plus fort jusqu’à une bifurcation. Elle allait prendre le couloir de gauche, lorsqu’un cri strident la fit sursauter malgré elle.

« C’est elle !! »

Reconnaissant la voix nasillarde de la standardiste, Sigyn accéléra le pas sans se retourner. Elle ne pouvait pas s’arrêter. Pas si près du but alors qu’elle identifiait de plus en plus cette imposante présence magique : suffocante, froide et sombre. Plus elle avancée plus ces ténèbres l’enveloppaient, réconfortantes, calmes, silencieuses et si familières. Elle était l’une des seules divinités à trouver cette énergie rassurante et respirable. Celle de Loki. Sigyn ignorait s’il était là, mais ce qui était sûre c’est qu’il avait empruntait ce couloir plus d’une fois. Les doutes s’évaporèrent alors que la crainte de ne pas pouvoir atteindre son but s’empara d’elle à l’écoute de la mise en garde d’une voix grave et masculine.

« Vous ! Arrêtez-vous immédiatement ! »

Sigyn regarda en arrière pour découvrir un vigil lui courir après suivi de la standardiste. Instinctivement, elle lâcha le dossier et fit de même avec bien plus de difficulté. Courir avec des talons aiguilles était un vrai calvaire !

Loki aimait bien se balader dans les différents étages bureautiques de sa société. Cela lui permettait de garder un oeil sur tout ce qu’il se passait. Il était bien plus facile de contrôler des sujets s’il était proche d’eux.
L’appel à projet était en cours, et il n’avait pour l’instant aucune piste concluante pour Sigyn. Il passait des heures de ses nuits à éplucher les lettres de motivation, les CV… sans succès. Il commençait à perdre patience et se demandait quelle autre action il devrait cette fois-ci mettre en oeuvre pour étendre sa recherche.
Soudain, un agent de sécurité l’interpella, haletant :

« Monsieur Dahl, vous devez vous mettre en sécurité, une inconnue s’est infiltrée dans les locaux et nous ne l’avons pas encore localisée. »

Une inconnue ? Serait-ce… ?

« Très bien. » répondit stoïquement Loki.

Pourquoi une inconnue s’infiltrerait dans le siège de sa compagnie ? Si c’était une… menace, elle n’aurait probablement pas été repérée dès le hall d’entrée.

« Que sait-on de cette personne ? » demanda Loki à l’agent qui l’accompagnait à son bureau.

« Elle est venue pour une histoire de candidature, elle voulait presser les recruteurs, et quand la standardiste lui a dit que ce ne serait pas possible, elle s’est faufilée aux ascenseurs. On ne sait où elle est pour le moment. »

Son coeur s’accéléra. Pourrait-il vraiment s’agir d’elle ? D’une autre entité ?
La situation était embarrassante. Il fallait qu’il trouve cette personne avant la sécurité. Il fallait s’affranchir du garde en premier.

Une fois arrivé à son bureau, Loki attira l’attention du garde pour plonger son regard dans le sien. Loki senti qu’il lui restait des bribes de son pouvoir d’illusion, ainsi il fit croire au gardien que Kirsten était entré dans son bureau et patientait. L’illusion ne durerait que quelques secondes, largement suffisantes pour que Loki disparaisse de sa vue.

La femme cherchait apparemment le service des ressources humaines. Si c’était bien Sigyn, elle allait probablement essayer de s’y rapprocher.
Une fois sur place, aucune trace de quelconque perturbatrice, uniquement les employés habituels, traitant le flot de candidature pour le projet. Il avait du la devancer.
Il fit mine de discuter avec les employés, lorsqu’il entendit soudain du grabuge dans le couloir.

« Vous ! Arrêtez-vous immédiatement !  »


La situation allait être délicate. Il allait devoir improviser quelque chose.

Loki sorti du service des ressources humaines et tomba nez à nez avec une femme à la chevelure étincelante. Elle le percuta sans s’en rendre compte alors qu’elle regardait derrière elle en courant maladroitement avec des talons.

« Mademoiselle ? »

La fugitive semblait très gênée, ses pommettes devenant écarlate et arrivant à peine à balbutier afin de s’excuser. Leurs yeux se croisèrent et ils surent. Le coeur de Loki explosa, et il dut tout réprimer afin de trouver une solution pour la sécurité.

« Monsieur Dahl ! Vous allez bien ? Nous sommes désolés de ce chahut, laissez-nous nous en occuper. » lança le vigil à la respiration haletante.

« Mais, pourquoi chassez-vous mon rendez-vous ? »

« Votre rendez-vous, monsieur ? Cette personne s’est faufilée sans autorisation ni rien dans les ascenseurs ! » objectiva la standardiste.

« Je suis sûr qu’il y a erreur. J’avais justement rendez-vous avec Mademoiselle Sigyn pour une interview concernant le projet Vali. »

Loki plongea directement son regard dans celui de la standardiste et tout devint subitement flou pour elle. Perdue dans ses pensées, elle balbutia des excuses et, terriblement gênée, reparti à l’accueil en remerciant la sécurité pour leur réactivité. Le vigil salua très poliment son PDG et reparti à son poste, quelques étages plus bas.

Au moment où le vigil disparaissait de leur champ de vision, Sigyn voulu s’adresser à Loki, mais il la freina.

« Pas ici. »

Il prit sa main chaudement et l’amena au couloir avant son bureau. Le vigil était toujours là. Il fallait le congédier avant qu’il ne se mette lui aussi à remuer la sécurité de la boîte en parlant de kidnapping magique de son PDG. Il se montra au vigil qui posa sa main sur son arme, prêt à dégainer, avant d’être déstabilisé par l’apparition de Kirsten Dahl qui était censé être dans la pièce derrière lui.

« Eh bien ? Qu’est-ce qu’il vous arrive ? Vous êtes prêt à tirer sur votre employeur ? »

« Monsieur Dahl ? Comment est-ce possible, vous étiez dans votre bureau !  »

« Allons, je suis sorti il y a quelques minutes pour me désaltérer, je vous ai dit qu’il n’y avait peu de chance que « l’infiltrée » arrive jusqu’à cet étage. Vous ne vous en souvenez plus ? »

« Je… » hésita le vigil.

« Je pense que vous avez besoin de repos monsieur.. Karlson, rentrez chez vous pour aujourd’hui, je préviendrai le service que vous serez en repos pendant 3 jours. Ce ne sera pas déduit de votre paie, ne vous inquiétez pas. Profitez-en pour vous détendre et vous ressourcez.  » rassura Kirsten à son vigil de plus en plus mal à l’aise.

« Je ne sais pas quoi vous dire Monsieur Dahl, c’est vraiment généreux » répondit-il avec difficulté

« Bonne journée suffira, à bientôt »

« B.. Bonne journée » balbutia-t-il avant de prendre le chemin des ascenseurs.

Suite à ça, Loki amena Sigyn directement dans ses appartements, à l’abris des yeux et des oreilles indiscrètes. Une tension montait progressivement sans qu’il ne puisse vraiment identifier la nature.

Une fois dans ses appartements, Loki se retourna et accueillit Sigyn dans ses bras. Ce n’était pas vraiment dans ses habitudes mais Loki savoura ce contact réconfortant avec sa femme, la retrouver si vite paraissait trop improbable pour être vrai. Beaucoup de souvenirs lui vînt en tête, des moments partagés avec elle. Il essaya de rassembler ses esprits devant cette personne au regard profond et enluminé d’espoir et de joie. Il l’invita à s’assoir tandis qu’il saisit 2 verres et une bouteille de vin. Lorsqu’il eut servi sa femme et soi-même, il s’assit à ses côtés.

« Ô chère femme, je crois que nous avons des choses à nous raconter…

A force de regarder derrière elle, ce qui devait arriver arriva : Sigyn percuta un homme de plein fouet. Perturbée par le choc, elle bredouilla quelques vagues excuses quasiment inaudible tandis qu’elle cherchait du regard un moyen de s’échapper, complètement affolée par l’idée de se faire attraper et de manquer Loki. D’ailleurs, la situation était très gênante. Comment s’était-elle fourrée dans ce pétrin déjà ? De quoi avait-elle l’air et jusqu’où était-elle prête à aller pour retrouver son mari ? Visiblement beaucoup, parce qu’elle ne réfléchissait plus. Elle était certaine qu’il s’amuserait de la voir ainsi, peut-être même qu’il se moquerait et/ou serait fier et touché, mais là tout de suite, Sigyn se sentait plutôt embarrassée. Autant de confusion pour une déesse d’habitude si discrète. C’était son mari qui était habitué à la zizanie et qui en était la plupart du temps l’instigateur, pas elle. Il fallait qu’elle s’en aille et vite ! Alors pourquoi restait-elle près de cet homme qu’elle venait de percuter ? Pourquoi n’avait-elle pas encore prit ses jambes à son cou ? Etonnement, la déesse n’avait aucune envie de bouger d’un coup. Instinctivement, elle finit par relever la tête et en croisant le regard de l’homme en face d’elle, elle se figea en comprenant pourquoi. Loki. C’était lui et il allait bien! Sigyn fut submergée par une vague d’émotions et une énorme impatience qu’elle ne pouvait pas laisser s’exprimer sans paraître plus étrange qu’elle ne l’était déjà. Ses poursuivants finirent par les rejoindre et lorsque le vigil déclara qu’il allait s’occuper d’elle, Sigyn s’agrippa au bras de Loki. Ils venaient de se retrouver, ce n’était pas pour qu’ils soient de nouveau séparés. Même si elle savait pertinemment qu’il ne la laisserait pas partir, ce fut plus fort qu’elle. Inconsciemment liés, Loki confirma ses pensées en prenant en main la situation.

Par contre, elle ne s’était pas attendue à qu’il prononce son vrai nom en présence de tiers personnes humaines. Bien vite, elle sentit le maître utiliser ses illusions. Le problème était réglé, mais l’inquiétude se Sigyn persista, non plus à cause de l’utilisation de son nom, mais des conséquences de l’utilisation du pouvoir de Loki. Ce corps humain n’allait pas le supporter, il devait être vigilant et se réfréner. Ils ne pouvaient pas se comporter comme avant sans en subir des risques directs sur leurs enveloppes charnelles. Elle allait lui en toucher deux mots lorsqu’il lui dit de ne pas parler ici. Discuter au beau milieu d’un couloir où n’importe qui pourrait les voir et les entendre ne serait pas très judicieux. Sigyn garda donc le silence, serra sa main dans la sienne et le suivit sans broncher. Elle ne manqua pas une miette de ce qui se passa par la suite et comprit bien vite que pour la retrouver dans ce dédale de couloirs, Loki avait déjà utilisé son pouvoir. C’était la deuxième fois ou plus ! De plus en plus soucieuse, elle attendit impatiemment qu’ils se retrouvent enfin seuls pour lui en parler.

Sigyn fut prise de court. A la fois inattendu et tant attendu, Loki la prit dans ses bras et la serra contre lui. Ce fut la délivrance, la libération et un grand soulagement pour son épouse. Sigyn savoura ce contact qui la calma aussitôt et l’étreignit. Ça faisait si longtemps… Il faut dire que la dernière fois qu’ils avaient été ensemble, Loki était enchaîné dans une caverne et qu’elle l’empêchait de souffrir atrocement. Ils n’avaient pas vraiment pu profiter de passer du temps ensemble comme pouvait l’imaginer les humains d’un couple marié. Alors ces quelques minutes, enlacée dans ses bras lui firent un bien fou et elle s’en contenta pour le moment. Ils avaient tellement à rattraper et à discuter aussi. Tandis qu’il l’invitait à s’asseoir, Sigyn en profita pour observer le corps humain de son mari. Pas mal du tout. Son âme avait bien choisit. Elle retrouvait le charisme et le charme ténébreux de Loki qui l’avait toujours attiré. Sigyn accepta volontiers le verre de vin qu’il lui offrait tout en l’écoutant. Il ne pensait pas si bien dire ! Elle ne savait pas de son côté, mais du sien, elle avait des tas de choses à lui raconter.

« En effet. Et la première d’entre elles… » Sigyn fouilla dans le sac à main d’Eydis pour en sortir un flacon. Elle se pencha vers Loki pour verser deux gouttes du flacon dans son verre, tout en plongeant son regard dans le sien. « C’est de l’edelweiss. Tu vas en avoir besoin, car si j’en crois ce que je viens de voir, tu uses de tes illusions un peu trop souvent ici-bas. Ce qui n’est pas sans conséquences, mon amour. » Il n’en savait peut-être rien, mais elle allait tout de suite le mettre au courant et veiller à qu’il soit prudent. Veiller sur lui et sur sa santé, comme toujours. Sigyn esquissa un tendre sourire, se rassit, rangea le flacon, but un peu de vin et commença à lui expliquer ce qu’elle avait voulu dire.

Cela faisait trois mois qu’elle s’était éveillée à Oslo dans le corps de l’infirmière urgentiste Eydis Forsberg. Sigyn s’est habituée sans trop difficulté à sa vie, puisque la jeune femme passait ses journées à soigner, aider et soulager des patients ; ce qu’elle-même faisait déjà depuis la nuit des temps. Jusqu’à il y a trois semaines où elle s’était éveillée avec des maux de têtes et une grande fatigue. Elle avait laissé couler, mais la situation avait finit par empirer. Un matin, son oreiller s’était retrouvé baigné de sang et son corps meurtri de partout. A l’annonce de cette nouvelle, Sigyn posa sa main sur celle de Loki accompagné d’un regard pour le rassurer et l’empêcher de s’en vouloir, car cela faisait des millénaires qu’une seule goutte divine n’avait échappé de sa peau d’ébène grâce à lui et elle savait bien qu’apprendre que ça avait été désormais le cas (même si on était loin du sang divin) n’allait pas lui plaire.

Sigyn reprit son récit. Elle avait rapidement conclu que le corps humain ne pouvait pas supporter leur divine personne sans subir des dommages, même sans user de magie. Un sourire malicieux se dessina sur ses lèvres. Oui, elle en profitait pour lui faire une petite piqûre de rappel pour bien lui faire comprendre qu’elle ne plaisantait pas, qu’elle s’inquiétait pour lui et qu’elle était très sérieuse à ce sujet. Sigyn continua en lui expliquant que la seule solution logique qu’elle avait trouvé pour remédier au problème et gagner du temps fut l’edelweiss. Elle avait réussi à en trouver et depuis deux semaines aucun symptôme n’était réapparu.

La déesse arrêta là son récit et but une nouvelle gorgée de vin. Pour le moment, Sigyn ne souhaita pas faire allusion à comment elle s’était procurée cette plante. Elle préférait y aller par étapes et laisser aussi la parole à Loki. Une chose à la fois, car lorsqu’elle allait arriver à la partie où elle avait rencontré d’autres divinités, mais aussi d’autres créatures dont l’un de ses enfants bâtard et forcément celui qu’elle n’appréciait pas du tout, elle savait d’avance que la discussion allait potentiellement devenir plus conflictuelle voire douloureuse. Elle n’en avait aucune envie. Elle ne voulait pas tout de suite gâcher leur retrouvaille, mais un point avait tourmenté la Fidélité depuis son éveil et tant pis si cela ravivait de mauvais souvenirs, elle devait savoir. Décidée, Sigyn posa le verre de vin sur la table basse et s’approcha de Loki, soucieuse.

« Et toi ? Es-tu éveillé depuis longtemps ? Loki… »

Elle mit un temps d’arrêt comme si elle n’osait pas lui parler ou aborder le sujet, alors qu’ils avaient toujours parlé de tout. Il n’y avait jamais eu aucun secret entre eux. Qu’il soit douloureux ou complètement stupide, ils avaient toujours tout partagé tôt ou tard. C’était en partie ce qui rendait le lien entre eux si particulier, unique et complexe.

« Est-ce que tu as souffert après… ma disparition? »

Elle se rongeait les sangs. Ses doigts étaient crispés et ses ongles ne tarderaient pas à enfoncer sa peau si elle insistait. Sigyn redoutait sa réponse, elle craignait avoir raison. Elle craignait que le temps ne se soit pas figé et que Loki ait eu à souffrir le martyr par le venin dont elle l’avait soulagé un maximum jusqu’à qu’Eydis lise la page de ce mystérieux livre qui l’avait arraché à son bien aimé. Si ça avait été le cas, il était clair qu’elle n’y serait pour rien et pourtant Sigyn s’en voudrait énormément. Elle s’en voulait déjà alors qu’elle ne savait rien.