Un frisson. Un tremblement. Un balbutiement. Rien que les ténèbres. L’obscurité. Un corps lamentablement échoué. Une âme s’écroule. Qui se noie dans sa propre tourmente. Une autre s’anime. Se réveille d’une longue léthargie. S’empare de la lumière. Un frisson. Un tremblement. Un balbutiement.

Avec difficulté, elle ouvre des paupières lourdes, qui semblent entravées dans les bras d’un sommeil éternel, sur une nouvelle réalité. Sa respiration est saccadée. Une crainte sourde s’empare de son esprit et de ses sens, tout comme la désagréable sensation d’être coincée sous un énorme rocher. Ses derniers souvenirs tentent une percée. Elle venait de débuter une mission de la plus haute importance pour le compte de son Seigneur. Elle venait de quitter le royaume de Svartaflheim. Elle venait de pénétrer dans une région hosti… Cette simple éventualité, celle d’avoir été prise en embuscade et capturée, accélère son réveil. Bondissant sur ses pieds d’une souplesse féline, elle s’apprête à attaquer quiconque se trouverait à proximité. Du moins… C’est l’idée initiale qu’elle avait en tête. Son corps ne semble plus l’obéir correctement et s’écroule à chaque tentative pour se relever.

Elle ne parvient pas à saisir la profonde contradiction qui s’opère dans son corps. Ses cinq sens semblent empêtrés sous une lourdeur inimaginable. Qui sont-ils ? Que lui ont-ils fait ? Pourquoi ressent-elle des émotions inconnues ? Pourquoi son esprit n’arrive-t-il pas à trouver la voie – et la voix – de son corps ? Pourquoi ses pensées sont-elles obscurcies par des souvenirs qui ne sont pas les siens ? Sa tête est lourde. Très lourde. Cette situation ne lui plaît guère. Être incapable de se mouvoir. Être embarrassée par son propre corps. Alors qu’elle s’apprête à essuyer un nouvel échec pour se relever, une aide inattendue s’empare de son bras délicat et l’aide à prendre position assise.

D’un œil inquisiteur, elle inspecte la pièce. Rien à Svartaflheim ne ressemble de près ou de loin à ce lieu. Ni à Alfheim. Ni à aucune région qui lui a été donnée de visiter. Un puissant frisson la parcourt lorsque l’inconnu prend l’initiative de remettre de l’ordre dans ses mèches rebelles. Il plonge son regard dans le sien. La dernière barrière qui l’entravait s’évanouit alors. Et Odvira reprend pleinement possession de ses moyens. Prend pleinement possession de ce nouveau corps. Prend pleinement conscience qu’elle n’a pas été capturée, qu’elle ne risque rien, mais qu’un événement particulièrement important semble s’être produit. Malgré cette nouvelle apparence, elle peut reconnaître la puissance de cette aura et la puissance de ce regard entre mille. Cette situation l’échappe, mais sa présence lui suffit amplement.

« Beledhelor. »

Aucun signe de tête. Aucun signe de soumission. Aucun signe de respect. L’étiquette voudrait que chaque elfe noir s’incline – se prosterne même – devant le Seigneur. Néanmoins, les liens qui les unissent sont au-delà de ces simples règles. Odvira se contente de maintenir le regard glacé posé sur elle sans broncher. Le fait de ne pas l’avoir salué par télépathie, comme elle avait coutume de le faire, l’ébranle. Les pièces commencent à se mettre en place dans son esprit. L’humaine, dont elle a subtilisé l’existence – parce qu’il ne peut s’agir que de ça –, semble avoir des effets mystérieux sur son comportement. Voilà de quoi l’ébranler davantage.