Les petits riens ne sont jamais insignifiants, ça il l’avait appris au prix de plusieurs vies. Chaque détail a son importance, et l’inéluctable victoire foisonne dans les plus infimes opportunités. Il avait donc choisi de jouir des privilèges que son nouveau statut de marchand d’art lui permettait d’acquérir. Ses relations se multipliaient, Hommes ou créatures… il parvenait à se constituer un réseau assez important pour obtenir des informations pertinentes. Et celle qu’il avait reçue quelques jours plus tôt n’avait rien d’anodin. Une jeune femme semblait porter un intérêt particulier aux parchemins ancestraux disséminés aux quatre coins de la Norvège. Après quelques recherches, il s’était lancé. Les pistes étaient innombrables et il aurait pu s’ennuyer à trier ces informations et parvenir à trouver une ou deux pages avant que tu ne mettes la main dessus… mais quelque chose de beaucoup plus intéressant lui avait effleuré l’esprit.

Il avait donc lui-même créé quelques indices, d’après des rumeurs avérées et des informations qu’il avait récoltées dans les contrées de Tromso, pour que le tout paraisse le plus véridique possible. Il avait fait en sorte que quelques réponses te parviennent sans même que tu ne te poses les questions. Toutes les pistes menaient aux glaciers et il ne faisait aucun doute que, vérité ou simple légende, tu voudrais t’assurer du bien fondé de ces bruits de couloir. Il ne lui restait plus qu’à patienter et l’annonce d’une tempête séculaire lui avait offert l’opportunité du siècle. Il s’était donc empressé de préparer son périple avec le soin qu’il accordait de coutume aux plus beaux combats.

[…]

Tout avait été minutieusement calculé et son départ avait sonné le glas d’une ère révolue depuis son arrivée. Il humecte ses lèvres et d’un geste languide ouvrit la porte du chalet qui abritait déjà quelques âmes en peine. L’air frais s’engouffra et arracha quelques plaintes aux hommes déjà présents. Habillé d’un long manteau de fourrure, approprié vu la période, il balaye la pièce de ses céruléennes en quête de ta silhouette.  La neige couvrait en partie ses épaules et l’auréolait d’un halo de lumière presque ironique vu la sombre âme que son corps recélait. Lorsque ses prunelles happent la chaleur importante de ta présence, il feint la distraction et frotte ses mains entre elle pour se rabrouer et pénétrer l’antre sans plus de cérémonie. Offrant l’aumône d’une attention aux geignards se plaignant du froid, il ferme la porte. L’homme à l’accueil lui sert un vin chaud avec toute l’hospitalité que les habitants peuvent offrir, un sourire maladroit au bord des lèvres.

— Ce n’est pas un temps à courir dehors, Caleb. Que fais-tu ici ? Avec cette tempête les routes vont être fermées pour la nuit.

Un sourire ravageur au bord des lèvres alors qu’il s’avance près du bar et à proximité de ta personne, le jeune homme inclina son faciès et dévora des yeux la boisson chaude que le barman venait de lui offrir. Oh il comptait bien sur une nuit entière pour découvrir qui tu étais et quels étaient tes véritables desseins. Ses sourcils se haussent alors qu’il tourne son visage vers le tien et te lance dans un souffle :

— J’espère qu’il ne vous a pas bassiné de ses histoires romanesques et insipides. Il a un goût exacerbé pour tout ce qui touche aux récits romantiques.

Le rire railleur et étouffé du vieil homme ne put couvrir celui que le dragon avait laissé échapper. Un son aussi cristallin que pouvait l’être la couleur de ses yeux, en total contraste avec la vile amertume qu’il couvait depuis des siècles. Il te jauge un instant, dessinant tes courbes discrètement et remontant dans ton regard d’acier à la faible douceur que l’on loue naturellement aux jacinthes. Effectivement, cette idée était beaucoup plus intéressante.