Il savait.
Il en était persuadé.
Il n'était pas le seul à être libre. Les autres dieux peuplaient la terre tout autant que lui.
Maintenant, sa vengeance devait se préparer.

Avant cela, cependant, il avait quelque chose à régler, à trouver, plus particulièrement, afin de ne plus jamais se faire avoir. Cela avait causé sa perte, sa fin, ses traumatismes qu'il chassait toujours d'un geste de la main au plus profond de son esprit lupin. En ce moment, cela l'obsédait. La surprise du réveil passée, il devait agir. Maintenant, une nouvelle chance lui était donnée, une nouvelle chance de se venger, de tous les tuer, de les faire payer leur peur.
C'est d'un petit humain qu'ils allaient avoir peur, maintenant. Et celui-ci était bien plus meurtrier et déterminé que le loup qu'il était dont le seul défaut était d'être démesuré et d'un égo surdimensionné.
Au moins, ce dernier point n'avait pas changé.

Pour ses recherches, il dut se rendre à Oslo, loin des forêts, de la nature, du calme. Une ville. Il n'y avait pas encore mis les pieds que cela l'énervait déjà. Tous ces souvenirs de voiture, de pollution, de béton, métal, verre. Cela le dégoûtait. Pourquoi ainsi transformer la nature ? Pourquoi la détruire, la supprimer, l'étouffer ? S'il avait repris sa forme originelle, il se serait empressé de toute réduire en bouillie.
Mais non, sa taille demeurait désespéramment ridicule.

Après un temps interminable de voyage en voiture et quelques crises de nerfs refoulées plus tard, il se rendit dans un musée. Pourquoi ? Parce qu'il n'avait pas envie d'aller lire dans une bibliothèque. Est-ce qu'il avait seulement besoin de ça ? Non, bien sûr que non. Il allait faire en sorte que quelqu'un fasse tout le travail à sa place et le remercier d'un joli sourire, le tour était joué, son plan était parfait.
Il n'y avait pas grand monde dans les musées, probablement car c'était le début d'après-midi en pleine semaine et qu'il n'y avait globalement que des enfants en sortie culturelle. Cela allait très bien à Fenrir. Il ne voulait pas croiser du monde. Enroulé dans un gros cuir, les mains en poche, le col relevé pour se cacher le plus possible, bien que cela fut peu efficace, il longeait les murs et se faisait discret. Il cherchait quelqu'un, un expert, n'importe qui.
Mais comment reconnaitre un expert ?
Ce n'était définitivement pas écrit sur leur front.
Alors, au bout de presque une heure d'errance, il décida de s'adresser à l'accueil. Bien sûr, il aurait du faire ça depuis le début mais en réalité, Fenrir avait espéré pouvoir parler au moins de gens possible et tomber directement sur la personne qui pourrait la renseigner. Il avait échoué. Sa machoire se serra. Allez, il pouvait parler à des inconnus, ce n'était pas louche, un gars seul qui demande des informations, il n'avait qu'à inventer une histoire, il n'était pas le fils du dieu farceur pour rien, il savait bien mentir.

Il se présenta donc à l'accueil, se racla la gorge, un regard à gauche, à droite, un air mal à l'aise qui lui, était tout à fait véridique et il articulait. « Hum, B'jour. J'cherche des infos sur la mythologie nordique, enfin, plutôt sur des objets particuliers et... J'me d'mandais si quelqu'un pouvait m'renseigner un peu, enfin avec qui j'pourrais discuter... C'pour des r'cherches poussées. » Le loup articulait mal. Bien sûr, il ne faisait aucun effort, juste assez pour se faire comprendre. Il continua de jeter des coups d'oeil autour de lui. Se pouvait-il qu'un dieu se cache par ici ? Pourrait-il le reconnaitre ? Il savait qu'il pourrait ressentir quelque chose, mais il lui était impossible de savoir s'il s'agissait bien d'un dieu ou pas de n'importe quelle créature de jadis. Il grommela et prêta attention à nouveau à la dame de l'accueil. « M'c'est relativ'ment urgent. » ajouta-t-il, juste au cas ou. Il s'essaya à sourire. Il arrêta bien vite lorsque la demoiselle la regarda étrangement et rentra la tête encore plus dans les épaules.
Ridicule, voilà ce qu'il était, autant par la taille que ses capacités à communiquer.
Jamais il n'avait eu besoin de communiquer de la sorte, avant.

Magnus n'aimait pas communiquer, pas comme ça, en tout cas. Les grognements étaient bien plus logiques et compréhensibles pour lui. Malheureusement, il lui avait semblé que personne ne comprenait ce que signifiait ses grommellements.

Stupides humains, pas étonnant qu'ils détruisaient la nature, ils étaient incapables de la comprendre. Peut-être s'en prendrait-il à eux, lorsque sa vengeance serait assouvie.

La dame de l'accueil le considéra plusieurs secondes. Avait-il parlé une autre langue sans le vouloir ? Non, impossible. «  Un instant je vous prie. » dit-elle en décrochant son téléphone. Elle appela une femme. Une femme. Fenrir ne voulait pas d'une femme. Tous les souvenirs de Magnus lui suffisaient amplement. Mais bon, avait-il le choix ? Il émit un grognement sourd, semblable à un grommellement. . « Madame Osmond va vous recevoir, elle arrive, si vous voulez bien patienter. » Il opina et elle se désintéressa aussitôt de l'homme peu aimable. Super, cela l'arrangeait. Il s'écarta un peu du comptoir pour laisser place à d'éventuelles autres personnes.
Il ne fallut pas longtemps pour qu'une femme se présenta à lui, particulièrement belle, surtout pour une experte en mythologie. Il aurait plutôt imaginé une vieille femme, des lunettes, de vieux vêtements, rien de tel. Il hésitait. Cela la rendait-elle plus ou moins manipulable ? Il ne savait pas. Il huma l'air en la voyant arriver. Elle avait quelque chose de spécial. Magnus avait-il déjà couché avec ? Non, non, il n'en trouvait pas les souvenirs. Alors quoi ? Une déesse, sérieusement ? Impossible. Ou peut-être ? Il devait confondre. Il avait l'impression de parler à une multitude de dieu, en ce moment. Peut-être était-ce plutôt... autre chose ? Il ne pouvait pas mettre le doigt dessus.

Peu importait. Il devait avoir l'air avenant, la suivre jusqu'à son bureau, à l'autre bout du musée, les mains en poche. . « M'salut. Magnus. J'vous suis. » Lui avait-il avec simplicité. Il n'avait même pas tenté de sourire, cela le rendait ridicule et avait le don de rendre mal à l'aise ceux à qui il souriait. Souriait-il trop fort ? Ouvrait-il trop la bouche ? Il n'avait pas l'habitude de sourire. Il ne souriait pas lorsqu'il était un loup, un loup ne sourit pas.

Le musée était gigantesque, il n'avait même pas pris la peine de monter à l'étage lors de son errance originelle. Etait-ce là qu'il y avait une section mythologie ? Ou peut-être était-il déjà passé devant ? Il n'avait pas vraiment attention. Quoiqu'il en fut, il préférait finir dans le bureau de ce qu'il apprit être une archéologue, celle qu'il n'avait pas lâché des yeux durant tout le trajet, comme si sa nature profonde allait s'afficher dans son dos. Parfait. Qui de plus choisi pour retrouver un artefact perdu ? Il la suivit, sans savoir quoi dire ni quoi faire. Devait-il commencer à parler avant elle ? Allait-elle lui poser des questions ? Devait-il simplement lui énoncer ce qu'il cherchait ? Allait-elle vouloir en apprendre plus sur lui ? Non, non, pourquoi ferait-elle ça ? Il n'y avait aucune raison, sauf si elle tombait sous son charme.
Impossible.

Il inspira. Merde merde et merde, pourquoi n'avait-il pas simplement chercher sur ce qu'on appelait Internet ? Peut-être aurait-il tout de suite trouvé la réponse, peut-être que ce qu'il cherchait se trouvait simplement chez un riche collectionneur ou dans un musée comme celui-ci. Il se mit à regretter.

Courage, fier loup, il fallait bien passer par cette étape, s'il voulait s'approcher de son but ; se venger des dieux.

Prendre ses aises ? Comment prendre ses aises dans une telle situation ? Elle le fixait. Elle le fixait beaucoup trop, avec ses grands yeux. Fenrir s'assit, mal à l'aise. Son regard préféra se balader dans le bureau un peu trop exigu à son goût. Ca y était, elle était curieuse, il le savait. Pourquoi ? Il n'avait rien fait !
Décidément, il ne comprenait rien à l'humanité. Les loups, eux, étaient plus simples à comprendre, pas de prise de tête, pas de question intrusive. Il n'avait même pas encore décidé pour qui il allait se faire passer exactement. Alors, il grommela, ses mains n'avaient pas quitté ses poches, il était affalé sur le siège mais semblait clairement tendu.
Pour l'instant, il devait dire la vérité. « Je cherche des informations sur... Gleipnir, le ruban. Toutes les informations possibles. J'veux tout savoir dessus. » Sa voix s'était fait grave, beaucoup trop grave. Il s'était tourné vers l'archéologue, le visage fermé, les yeux transperçants. Trop sérieux. Il ne s'en était même pas rendu compte. Il ne contrôlait que peu ses expressions faciales. Tout changement subtil lui passait par dessus. Il lisait mal les émotions des autres, d'ailleurs, malgré l'aide des souvenirs du propriétaire original.
Naturellement, que cela était important pour lui, c'était l'objet qui avait précipité sa perte, sa malédiction, son fléau. Il sentait toujours le lien sur sa peau, l'enserrer, refuser de céder malgré sa force, sa grandeur. Où était-il désormais ? Il avait pensé qu'il se serait désagrégé, depuis le temps, au début. Mais non, au fond de lui, il savait. Il était toujours là, ce ruban de malheur était indestructible. Bien sûr, qu'il était toujours là, quelque part sur cette fichue terre.
Il comptait bien le récupérer.
C'était son ruban, désormais. Il lui revenait de droit. Il se figea après ses paroles, perdu dans d'antiques souvenirs qui le hantaient, malgré son emprisonnement. Il sentit sa poitrine se compresser et inspira longuement. Voilà ce que l'évocation seule de Gleipnir faisait à son esprit à moitié détraqué. Allons, Fenrir, il fallait se calmer. Ce n'était qu'un mot, qu'un ruban. Le loup était libre, libre de se venger de ceux qui lui avaient infligé cette torture.

Mais pour cela, il avait besoin de Gleipnir.  

Passionnée, c'est le mot qui lui vint à l'esprit lorsqu'il l'écouta parler. Elle rayonnait. Cela aurait presque arraché un sourire à Magnus, si son discours ne l'avait pas profondément énervé. Il s'était figé, ses yeux s'étaient agrandis, ses sourcils froncés, il la foudroyait soudainement du regard.
Comment osait-elle ? Comment pouvait-elle prétendre savoir ce qui s'était passé ce jour-là ? Qui était-elle, que savait-elle ? L'envie de lui sauter au visage, saisir sa gorge et l'étrangler lui vint à l'esprit. L'envie était puissante, intimidante, elle brûlait ses entrailles comme un instinct, une impulsion. Il inspira longuement cependant. Il devait tenir, respirer, il avait besoin d'elle, pour le moment en tout cas. Peut-être allait-elle lui donner quelques informations précieuses ?
Il réprima le feu qui embrasait son corps. Peu importait si elle pensait que les dieux l'avaient forcé. Peu importait si elle ne savait pas les détails, le plus important, c'était savoir où était Gleipnir, désormais. Il enfonça ses ongles un peu trop long sur l'accoudoir, crispé, et raya même un peu le bois.

Il crut qu'il allait lui lancer la chaise lorsqu'elle lui annonça que personne ne savait où se trouvait Gleipnir. Tout ça pour ça ? Elle l'avait insulté pour lui annoncer qu'elle ne savait rien sur le ruban ? Pourquoi était-il venu jusqu'ici si c'était pour lui dire de telle chose et lui demander son nom ?! Il se redressa, prêt à partir sur le champ. Il n'avait aucune raison de rester, aucune raison de ne pas lui cracher à la figure et lui mettre une claque. Il n'y avait rien, rien du tout.

Le loup se redressa sur son siège, les yeux grands ouverts, fous.
Et s'immobilisa. « Magnus. J'veux c'putain d'ruban. Il doit bien être quelqu'part, non ? » dit-il dans un calme trop grand pour ne pas être artificiel. Il devait tenir, chercher plus profondément. C'était un artefact rare, il était logique qu'elle ne lui dévoilât pas tous ses secrets directement. Il ne se rendit pas tout à fait compte de ce qu'il avait dit, de la violence que cela pouvait donner. Son esprit tout entier s'évertuait à se calmer. Il s'enfonça dans son siège, son regard se détacha enfin de la blonde pour scruter les environs. Sa poitrine était serrée. Il lui avait donné son nom sans plus réfléchir, mais il ne connaissait pas le sien. A vrai dire, il s'en fichait. Il voulait des informations et rien d'autre, après, il partirait, il ne mettrait plus jamais les pieds dans cet endroit stupide ni dans cette ville stupide si ce n'était pour arracher la gorge d'un dieu à coup de dents.

Elle savait plus, il en était certain, la manière dont elle réfléchissait, se comportait. On lui cachait quelque chose. Il devait savoir, mettre la main dessus, se venger. La vengeance, oui, il n'avait que cela qui l'intéressait, pas sa nouvelle vie ni son nouveau corps, ni sa liberté mais la vengeance. Il soupira longuement, quelque peu calmé par la froideur de ses plans. Le bleu de ses yeux s'ancra à nouveau dans ceux de son interlocutrice. « J'en ai besoin » Poursuivit-il, une détresse imperceptible au fond de la voix, dissimulé par sa détermination. C'était la seule chose qui le faisait tenir debout, qui l'empêchait de se détruire, de laisser la rage et la folie le consumer jusqu'à la moelle. Il passa une main dans ses cheveux qu'il décoiffa encore plus qu'ils ne l'étaient.

Lui avait-il fait peur ? Il en avait peut-être trop dit, trop fait. Le contrôle, ce n'était pas son fort. Il pinça les lèvres, sans être gêné pour autant, mais il essayait de la convaincre. Peut-être le prendrait-elle simplement pour un fou qui courrait après des légendes, un obsédé, un désespéré.
Elle n'aurait pas tord, mais lui, savait que tout cela n'était pas qu'une légende mais une réalité dont ils n'avaient aucune conscience.

Il lui avait fait peur. Trop, pensa-t-il, au début. Elle allait fuir, appeler la police, hurler à l'aide. Il avait bandé ses muscles, prêt à bondir hors du bureau, courir, courir toujours plus vite et s'évanouir dans les rues.
Il n'en fut rien.
Elle lui tendit un rapport qu'il feuilleta à peine - Magnus n'aimait pas lire, encore moins des mauvaises nouvelles - et préféra la croire. Quelle idée avait-il eu de croire que son ruban aurait été trouvé, gardé, après tout ce temps, alors même que l'humanité les croyait légende, fiction, et déformait la réalité dans de nombreux films et autres jeux ridicules ? Il secoua la tête. La colère retomba aussi vite qu'elle était venu, averse émotionnelle, de ces pluies dont était sujet régulièrement Fenrir.

Elle lui posa des questions, chercha à le rassurer, le détendre, probablement. Il s'était affalé à nouveau sur le siège, ses yeux posés sur le rapport qu'il faisait semblant de consulter. Il réfléchissait. Que faisait-il encore ici, si elle ne pouvait pas l'aider, si personne ne pouvait l'aider ? Devait-il abandonner, renoncer à retrouver l'objet de tous ses tourments ?
Non.
Il ne voulait pas abandonner. Le monde était vaste, le ruban indestructible. Il se trouvait quelque part. Peut-être simplement dans le tiroir d'une vieille, coincé sous un rocher. Il s'en fichait. Fenrir était têtu. Il était libre, libre de soulever le moindre caillou, ouvrir le moindre tiroir pour retrouver son bien.

Lorsqu'elle eut fini de répliquer avec une certaine assurance - Fenrir déplorait le fait qu'il n'impressionnait plus grand monde bien longtemps - il laissa le silence s'installer, sans relever la tête. Un peu de suspens, que diable !
Il pesait le pour et le contre.
Bien entendu, il ne pouvait pas révéler son identité, cela aurait été stupide, imprudent, d'autant plus qu'il n'y avait aucune chance qu'elle le crût. Elle le virerait de son bureau aussitôt son nom prononcé. Il n'avait rien d'un loup, même s'il aurait préféré se réincarner comme tel.

Finalement, il releva la tête. Une idée avait germé. Il inspira longuement et planta son regard froid, vidé de toute colère, dans celui de l'archéologue. Il y avait un mensonge à glisser, une histoire à tisser, un doute à travailler. Peut-être pouvait-il faire naître en elle une envie d'élucider un mystère, de savoir qui il était. Il devait bien avoir certaines personnes animées par le désir de voir les légendes devenir vraies, non ? Il croisa les bras. « Il existe. Je peux vous l'assurer. Pourquoi ? Vous ne me croirez surement pas. » Il soupira à nouveau. Un peu de comédie était de mise. Il passa une main sur sa nuque, l'air un peu gêné.
Il savait jouer un rôle lorsque ses sentiments étaient sous contrôle. « J'ai une quête. Retrouver Gleipnir et le restituer à son propriétaire. » Fenrir marqua une pause. C'était le moment de vérité. Il inspira, comme pour dire quelque chose mais hésita. C'était tout ou rien. Elle pouvait le suivre ou le fuir. Dans le dernier cas, il devrait repartir seul à la recherche d'une personne pour le croire. « Le rendre à Tyr. »

Il était trop tard pour reculer, désormais.
Le loup noir se laissa inexorablement aller dans la pente de son mensonge.